Quelle est la place du BIM dans l’ACV aujourd’hui ?

Si l’ACV contribue à prendre les bonnes décisions pour réduire l’impact environnemental d’un projet de construction, dans quelle mesure le BIM y participe-t-il ?

En tant que professionnels du bâtiment, nous sommes particulièrement sensibles à l’impact de notre domaine d’activité sur l’environnement. Aujourd’hui, le secteur du bâtiment représente à lui seul 44,9% de la consommation d’énergie française en 2015* et 25 % des émissions de CO2 en France sont dues aux consommations d’énergies des bâtiments lors de leur utilisation**.

Le chantier en tant que tel, l’exploitation du bâtiment mais aussi chaque composant du bâtiment engendre des conséquences sur l’environnement. Selon l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie), en France, 7,4 millions de bâtiments sont considérés comme des « passoires énergétiques » – l’impact de la consommation d’énergie du bâtiment est très important.  Ensuite, il faut considérer l’impact de la fabrication des produits ou équipements utilisés, depuis l’extraction des matières premières nécessaires à sa création, jusqu’à sa fin de vie. D’après l’étude Test HQE Performance, les produits et équipements du bâtiment sont responsables de 56% des émissions de gaz à effet de serre des bâtiments**.

Ce chiffre est sans équivoque et montre bel et bien pourquoi les entreprises de conception et de construction ont pour challenge de mieux sélectionner les produits du bâtiment. Mais quelles solutions s’offrent à eux ? À quelles difficultés doivent-ils faire face ? Le BIM apporte-t-il des réponses à ces enjeux ?

QUE DIT LA RÉGLEMENTATION ACTUELLE EN TERMES DE PERFORMANCES ÉNERGÉTIQUES DES BÂTIMENTS ?

En France, la RT2012 (Réglementation Thermique 2012) est obligatoire et appliquée à tous les permis de construire. Elle succède à la RT2005 et précède la RT2020 – chaque réglementation ayant pour objectif une amélioration de 15 % des performances énergétiques par rapport à la précédente.

L’Accord de Paris sur le climat a eu pour effet la mise en place de nouvelles mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Véritable précurseur de la future réglementation environnementale du bâtiment RT2020, le label E+C-, « Energie Po sitive & Réduction Carbone », crée à la suite de cet accord, incite par exemple à la construction de bâtiments exemplaires, à énergie positive et bas-carbone.

Ce label comprend le calcul des consommations d’énergie et de ressources sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment, en partant de l’origine des matériaux jusqu’à la déconstruction de l’édifice, en passant par son exploitation. Il a pour but de mettre en évidence d’éventuelles difficultés et d’utiliser les retours d’expérience afin de créer le cahier des charges de la nouvelle réglementation. Tant que la RT2020 n’entre pas en vigueur, ce label est encore exclusivement basé sur le volontariat.

L’ACV ET LES PRODUITS DU BÂTIMENT

Méthode d’évaluation normalisée (ISO 14040 et ISO 14044), l’analyse du cycle de vie (ACV) est le procédé le plus pertinent pour évaluer les impacts environnementaux d’un système (produit, service, entreprise ou procédé) sur l’ensemble de son cycle de vie. L’ACV s’applique notamment à un bâtiment, mais aussi à chacun de ses composants : produit ou équipement. Ce processus permet plus particulièrement d’évaluer les retombées sur le réchauffement climatique, la pollution de l’eau et de l’air et l’épuisement des ressources abiotiques, mais aussi de quantifier les consommations de ressources nécessaires à sa fabrication (énergie, matières premières et eau douce).

Pour un fabricant,  l’ACV est obligatoire pour la réalisation des déclarations environnementales de ses produits. Ces déclarations ont pour objectif d’apporter des informations complètes et fiables sur les produits et équipements du bâtiment et s’inscrivent dans la norme européenne EN 15 804. Au niveau européen, la déclaration est appelée DEP (Déclaration Environnementale de Produit). En France, pour le domaine du bâtiment, ces données sont regroupées sous forme de FDES (Fiches de Déclaration Environnementales et Sanitaires) et de PEP (Profils Environnementaux de Produits).

Depuis 2017, les FDES et PEP doivent obligatoirement être vérifiés par une tierce partie indépendante, reconnue par un programme de vérification conventionné par l’Etat. Les FDES, vérifiées par l’INIES (la base nationale de référence sur les caractéristiques environnementales et sanitaires pour le bâtiment) regroupent à la fois une déclaration environnementale, mais aussi les informations sanitaires du produit. Multicritères, elles ont pour but de rendre les bâtiments plus durables, avec un impact limité sur l’environnement.

Les PEP, encadrés par le programme PEP ecopassport® (le programme international de référence pour déclarer les impacts environnementaux des produits électriques, électroniques et de génie climatique) sont également des déclarations environnementales, mais qui sont plus particulièrement spécifiques aux équipements précédemment cités.

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Generative Design Applied on Buildings – Source : BIM Toolbox

L’ACV DU BÂTIMENT, ETAPE INDISPENSABLE POUR OBTENIR UN LABEL ENVIRONNEMENTAL

Quant aux labels environnementaux, tels que les labels HQE (Haute Qualité Environnementale), BBCA (Bâtiment Bas Carbone), Effinergie (Constructions et rénovations de bâtiments à basse consommation d’énergie), E+C- (Bâtiment à Énergie Positive et Réduction Carbone), DGNB (German Sustainable Building Council), BREEAM (Building Research Establishment’s Environmental Assessment Method) et LEED (Leadership in Energy and Environmental Design), leur obtention dépend également de la réalisation d’une analyse de cycle de vie. L’acquisition de ces labels par les entreprises leur permet d’être officiellement reconnues sur le marché et valorise leur capacité à réduire les impacts environnementaux.

L’ACV peut donc être utilisée en tant qu’outil stratégique pour obtenir un label et comme outil concret de transition écologique.

QUEL POTENTIEL OFFRE L’ACV LORSQU’ON L’APPLIQUE À UN PROJET DE CONSTRUCTION ?

L’ACV est aussi et avant tout un outil pour comparer différents scénarios, architecturaux par exemple.

Tout d’abord, l’ACV d’un bâtiment va comparer différents scénarios de conception du bâtiment. Les composants souvent pris en compte à ce stade sont les volumes de l’ouvrage ainsi que les quantités et les types de béton, bois ou acier qui sont utilisés. Idéalement, l’ACV peut permettre, assez tôt, de faire des choix architecturaux.

Toujours en phase de conception, le concepteur ou la maîtrise d’ouvrage peut alors comparer l’impact environnemental de produit ou de procédé et anticiper ou éviter des pôles de surconsommation, qu’ils soient énergétiques ou climatiques, en sélectionnant des produits ou procédés à faibles impacts environnementaux.

Plus tard, en phases d’exécution, d’exploitation, l’ACV pourra aussi être un outil d’aide à la décision, plus fiable car avec plus de données d’entrée, pour prendre des décisions en termes de maintenance par exemple : réparations écoresponsables, remplacement d’équipements par des produits moins énergivores, rénovation de l’édifice dans le but de retarder sa déconstruction… Néanmoins, l’impact de ces décisions est plus faible que lorsqu’on agit en amont. Si la capacité à réaliser des calculs est plus précise quand on avance dans le projet, la capacité d’action est quant à elle limitée.

BIM&CO a mené une étude qualitative auprès d’experts interviewés pour identifier les principales contraintes de l’ACV du bâtiment. L’une des problématiques majeures relevées consiste en la mise en place de la méthode d’évaluation et notamment dans la collecte et la centralisation de données, qui s’avère extrêmement prenante. Environ 80% des personnes interrogées ont déclaré trouver cette étape pénible et, pour 70% d’entre elles, il s’agit de la première problématique relevée.

Wissem DEHIMI , Ingénieur chef de projets bâtiment durable/référente BIM chez Manexi, bureau d’études techniques, explique : « Il existe un manque de données sur les équipements techniques qu’il est extrêmement difficile à combler. L’idéal serait d’accéder à une base de données plus complète et plus riche ».

L’un des consultants ACV et éco-conception à la Plateforme [avniR] by CD2E, s’exprime à son tour : « La collecte des données dans le cadre de l’Inventaire du Cycle de Vie (ICV) s’avère être une étape chronophage, tout comme la réalisation des hypothèses viables en cas de données entrantes manquantes. »

La seconde problématique relevée par nos experts est l’aspect tardif de la réalisation des ACV lors des projets de construction. Les différents acteurs impliqués sur le projet sont alors impuissants face aux choix déjà réalisés, les calculs effectués n’ont pas d’impacts réels sur les choix de conceptions et les objectifs de l’ACV ne peuvent alors pas être atteints. De plus, les analyses sont souvent réalisées par des personnes externes au projet et ne sont pas intégrées à l’équipe projet en tant que telles.

Marion SIÉ, Présidente de VERSo, explique : « En permettant l’accès à l’information plus tôt, les décisions de conception seront influencées par la prise en compte de l’ACV.  C’est pour cette raison qu’il est primordial de pouvoir effectuer une ACV, le plus tôt et le plus facilement possible. »

Il existe cependant une dernière problématique qui se révèle fastidieuse pour les analystes : la classification des composants de chaque produit défini selon un label. Le label E+C- illustre parfaitement cet enjeu : les produits de construction et équipements utilisés doivent être répartis selon 13 lots, eux même décomposés en sous-lots. Cette répartition conditionne la validité du récapitulatif standardisé d’étude énergétique et environnementale (RS2E), et contient un certain nombre de paramètres, concernant majoritairement le carbone, à renseigner. Il doit être inclut dans le dossier technique qui est examiné et participe à la vérification de la cohérence du calcul de performance.

LE BIM APPORTE-T-IL UNE VALEUR AJOUTÉE AUX ACV ?

Avec le BIM, l’ACV peut se faire depuis la maquette numérique, potentiellement sans même changer d’environnement logiciel. L’ACV en BIM devrait donc être plus automatique, plus systématique et plus simple à réaliser. Cela devrait permettre aux équipes de faire des ACV sur différents scénarios très tôt dans le processus et à chaque fois qu’un choix de conception ou d’exécution doit être fait. A terme, avec le BIM et le generative design, l’ACV peut être une véritable donnée d’optimisation de la forme, de l’orientation… du bâtiment. Les attentes du BIM pour les spécialistes de l’ACV sont très fortes.

LCA implementation in BIM platform – Source : Márcio Minto Fabricio****

Dès aujourd’hui, le BIM peut se révéler être un véritable facilitateur de l’ACV car il facilite l’accès aux données : données du projet et données des composants (qu’il s’agisse de produits finis ou de matières premières).

Néanmoins, à ce jour, les ACV réalisées sur la base de maquette numérique ne sont pas encore si faciles et si systématiques. Tout d’abord, il s’agit souvent d’analyses simplifiées, de par les données d’entrée venant réellement du projet. Ce sont surtout des nomenclatures de quantités qui sont extraites de la maquette pour être intégrées dans les logiciels d’ACV possédant une base de données environnementale – l’ACV est alors dissociée de la maquette. Certains logiciels permettent aussi de faire l’ACV directement dans la maquette, mais les hypothèses prises en compte sont encore très limitées et les bases de données non connectées. Les données prises en considération se limitent très souvent aux surfaces et aux quantités des principaux matériaux : béton, acier, bois. Les systèmes de climatisation et les autres matériaux ne sont pas pris en compte.

C’est amené à changer très rapidement : les processus et les logiciels vont évoluer. Pour BIM&CO, l’enjeu réside dans le fait de pouvoir accéder aux données environnementales directement dans la maquette.

C’est en se basant sur les normes en cours et sur les besoins des utilisateurs que la technologie de BIM&CO permet par exemple aux fabricants de venir renseigner de manière détaillée les données environnementales de leurs équipements, à travers ce qu’on appelle les objets BIM. Pour répondre à la problématique liée aux classifications des composants (évoquée précédent), BIM&CO entreprend aussi de créer une classification spécifique à chaque label environnemental. La centralisation de la donnée environnementale au sein de l’objet, ainsi que sa répartition propre au label en lot et sous-lot définis, permet un gain de temps considérable et une facilitation du travail pour les acteurs ayant pour objectif l’obtention de labels.

La technologie BIM&CO permet aussi d’intégrer les fiches FDES et/ou PEP aux objets gérés par la plateforme publique ou privée, ce qui permet à l’utilisateur de retrouver des données fiables et centralisées – et ce, directement depuis son logiciel BIM, sans ressaisie : cela représente un réel gain de temps au moment de la réalisation des études du cycle de vie.

Aujourd’hui, les ACV du bâtiment ne sont malheureusement pas un facteur de choix, mais davantage un résultat. Il est encore difficile pour les acteurs d’un projet de construction de s’appuyer sur l’ACV lors de leurs choix. Les éditeurs de logiciels et de solutions BIM jouent néanmoins un rôle considérable pour intégrer l’ACV réellement à la maquette numérique, permettant ainsi aux acteurs de l’ACV de se positionner en tant qu’acteurs à part entière de la conception du bâtiment.

Sources :
* https://www.ademe.fr/en/particuliers-eco-citoyens/dossiers-comprendre/dossier/lenergie-france/consomme-plus-denergie-france
** http://www.batiment-energiecarbone.fr/IMG/pdf/dossier-presse-label-eprc-2016-11-17.pdf
*** https://autodesk.typepad.com/bimtoolbox/2017/06/generative-design-applied-on-buildings.html
****https://www.researchgate.net/figure/LCA-implementation-in-BIM-platform-Source-AuthorselaborationAuthorselaboration_fig1_311557520